Le pigeon photographe

La vraie histoire du pigeon photographe débute vers 1840: un pharmacien de Kronberg en Allemagne, Wilhelm Neubronner, avait passé à tous les médecins travaillant avec lui des pigeons voyageurs chargés de lui ramener les ordonnances urgentes. Son fils Julius, médecin, reprit par la suite cet usage. Pour contrôler les errements d’un pigeon pourtant très efficace, il eut l’idée de l’équiper d’un petit appareil photographique. Après plusieurs essais, il mit au point un appareil s’adaptant à la poitrine du pigeon par des bretelles élastiques et prenant plusieurs vues sur du film de 4 cm de côté, à l’aide d’un système de déclenchement automatique à retardement (brevet en 1903).

Vers 1910, le Dr Julius Neubronner mit au point un nouvel appareil, le Pigeon Panoramic ou Doppel-Sport, avec déclencheur à retardement, pour une prise de vue panoramique unique à l’aide d’un objectif pivotant autour de son axe et utilisant un plan film de 3×8 cm. Cet appareil n’a pas été produit en grande série, ce qui en fait aujourd’hui une rareté, voire un objet introuvable. Il en a été fait dans les années 1980 quelques répliques fort bien imitées par un ingénieur allemand, Rolf Oberländer.

L’apparition d’une production suisse d’un appareil de même type dans une vente aux enchères nous révéla l’existence d’un fabriquant oublié. La chance voulut que la manufacture Michel à Walde soit toujours active. Nous avons alors rencontré les fils d’Adrian Michel qui nous ont présenté l’appareil mis au point par leur père et la documentation l’accompagnant. Conscients de la nécessité de mettre en valeur un tel fonds, ils ont décidé de le déposer au Musée suisse de l’appareil photographique.

L’appareil mis au point par Adrian Michel dans les années 30 constitue une adaptation pour le film cinéma 16 mm du Doppel- Sport à vue unique. Il invente un mécanisme de minuterie qui assure le retardement de la séquence de prises de vue, le transport du film et l’intervalle entre les photographies, ceci pour un poids identique!

Fabriqué en aluminium pour obtenir un maximum de légèreté, il a été conçu en deux variantes:
– Le modèle A pour des négatifs de 10×36 mm. Les 45 cm de film qu’il est recommandé de charger dans l’appareil permettent alors de faire 6 à 7 prises de vue
– Le modèle B pour des négatifs de 10×22 mm. 12 à 15 prises de vue sont possibles sur le segment de film recommandé.

Cette production suisse de la fin des années 1930 est restée très confidentielle mais elle prend toute son importance si l’on se replace dans le contexte d’alors: les petites manufactures cherchent à tout prix à diversifier leurs produits face à l’économie déficiente du moment, et l’image aérienne est totalement fascinante par les possibilités d’observation qu’elle ouvre: Adrian Michel a certainement espéré fournir l’armée suisse…

L’accueil d’un tel ensemble suppose que l’on prenne immédiatement en compte sa conservation dans les meilleures conditions. Notre préoccupation première a été d’avoir un accès au contenu des films en évitant leur altération: roulées depuis plus de 60 ans, ces pellicules de très petit format nécessitent beaucoup de précaution dans leur manipulation pour éviter toutes conséquences désastreuses et doivent être confiées à des spécialistes pour leur traitement, l’idée étant de les dérouler une dernière et unique fois dans l’agrandisseur pour accéder aux images. Nous avons donc fait appel à l’Institut suisse pour la conservation de la photographie qui a posé le diagnostic, sur la base duquel nous avons obtenu l’aide de Memoriav, association pour la sauvegarde de la mémoire audiovisuelle suisse. La décision a été prise de tirer l’ensemble des images par agrandissement photographique sur du papier baryte avec traitement de haute conservation servant ensuite de base pour la numérisation. L’ensemble a également fait l’objet d’un inventaire par le Musée suisse de l’appareil photographique et d’un stockage dans des boîtes de conditionnement adéquates. Sa pérennité et son accessibilité sont ainsi garanties.

 

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